Dancing Ashes
« On dénichait dans la nuit çà et là des quarts d’heure qui ressemblaient assez à l’adorable temps de paix, à ces temps devenus incroyables, où tout était bénin, où rien au fond ne tirait à conséquence, où s’accomplissaient tant d’autres choses, toutes devenues extraordinairement, merveilleusement agréables. Un velours vivant, ce temps de paix »
« Voyage au bout de la nuit », Céline, 1952
Le 20 novembre 2012, le M23 prenait la ville de Goma face à une armée congolaise en débâcle. Les casques bleus, figés derrière leur mandat, regardaient le drame se jouer devant leurs yeux, abandonnant un peu plus la population à elle-même alors que la communauté internationale s’indignait, en vain. Deux semaines plus tôt, le porte-parole de la MONUSCO assurait pourtant que Goma ne tomberait jamais aux mains des rebelles.
Cette déclaration perdue dans un torrent de discours contradictoires caractérise l’environnement délétère qui règne depuis deux décennies au Congo. La prise de Goma ne sera donc qu’un soubresaut, un de plus, dans l’histoire du conflit au Nord-Kivu.
Le groupe rebelle M23 qui figure en haut de la liste des ennemis de l’Etat congolais, n’est que l’arbre qui cache la forêt. Plus de quarante bandes armées viennent envenimer la situation à l’est de la République démocratique du Congo. Leurs griefs n’ont d’égal que leur cupidité, celle-là même qui leur donne les moyens de continuer la « lutte ». Car bien avant d’être un conflit de minerais, l’instabilité au Kivu prend ses racines dans une gestion foncière inexistante et une approche de la citoyenneté controversée. En équilibre sur un pouvoir souvent jugé illégitime et toujours faible, c’est toute la région qui bascule.
La cassitérite et l’or, entre autres, manne quasi intarissable pour les chefs de guerre locaux, ont mué depuis des années l’économie locale en économie de guerre. Réduits en esclavage, les réfugiés sont employés à vil prix pour s’enfoncer profondément dans les terres dont ils ont été dépossédés.
« La patience est la longueur du temps ». Cette phrase griffonnée sur une maison abandonnée de Goma résume l’état d’esprit général. Les habitants des Kivu, envers et contre tout, ont appris à dompter ce quotidien, à se l’approprier, à se réjouir de chaque moment de répit, à manifester contre l’immobilisme des uns, et à soutenir les initiatives des autres. Les rues de Goma continuent de grouiller, s’inventant çà et là des quarts d’heure qui ressemblent au temps de paix.
La récente victoire de l’armée régulière (les FARDC, soutenue par la Brigade d’intervention de l’ONU) sur le M23 début novembre a donc été accueillie par la liesse populaire. La région se prend à croire à un nouvel élan qui la libérerait de tous les groupes armés. Après des décennies d’horreurs et de pillages, le Kivu se surprend à espérer.